Pratiquer l'Aïkido, c'est entrer dans le monde des sensations.
Ce
seront de riches échanges non verbaux avec des individus sur un support
martial. C'est pour cela qu'on entend parfois que l'Aïkido est considéré comme
un art de la communication. Pratiquer la non-violence au sein d'un art de
combat ne peut s'improviser et ne rester qu'un concept. Il faut mettre en place
des techniques et maîtriser de nombreux principes.
Après
avoir acquis les Kihon
waza (techniques
de base, académiques) ainsi que toutes les sortes d'attaques,
déplacements, chutes, l'alchimie de tous ces éléments va permettre de riches
échanges.
En
progressant, l'Aïkidoka va paradoxalement épurer, retirer, les éléments
inutiles à la réalisation de ses techniques à l'image d'un bouquet d'ikebana,
où ne restera dans le vase, que le strict minimum. En Aïkido, il s'agira d'ôter
après en avoir pris conscience, certaines raideurs, tensions, retards, postures
inadéquates... On n'apprendra pas plus de techniques avec les années. Au mieux,
créer des combinaisons (HENKA WAZA ou « variations »). Par contre, on
tendra à les affiner. Viendront de nouvelles sensations.
(photo drawing from internet)
Il
est très difficile de verbaliser les sensations en Aïkido. On garde alors les
termes Japonais car nous ne trouvons pas l'équivalent en langue française.
On
trouve beaucoup de théoriciens et d'historiens de l'' Aïkido sur les tatamis
français. Cette liste de termes n'a pas pour but de rajouter de
« l'intellectualisme », mais d'ouvrir le champs des sensations en
osant y accoler des termes. L'intérêt est de parler le même langage propre à
notre art.
DE AÏ : maîtrise
du moment du contact, de la rencontre (notion de temps, de timing)
MAAÏ: maîtrise
de la juste distance, de l'espace
La
conjugaison des deux maîtrises forme la juste appréciation du temps et de
l'espace idéal pour entrer en contact ou esquiver son partenaire. Maîtriser le
temps et l'espace est, au passage, une des quêtes du ZAZEN, mais aussi de bon
nombre de pratiques autant physiques que spirituelles.
On
peut alors parler de AWASE (la
rencontre) du
verbe AWASERU (s'harmoniser, s'adapter).
Mais
avant tout, TORI dispose de trois manières de travailler:
SEN NO SEN: Aller
au devant de l'attaque, anticiper, prévoir, démarrer avant, voire la provoquer.
Ceci demande une grande maîtrise. Il faut alors observer la moindre velléité
d'attaque chez Uke et interpréter les signaux trahissant sa prochaine envie
d'attaquer. On aiguise alors notre acuité sensorielle tout sens confondus (
Synesthésie). Le SEN NO SEN évite de se faire bloquer, verrouiller, fixer ou
tout simplement de recevoir un coup.
TAÏ NO SEN: Le travail se fera en même temps (c'est la majorité des
échanges entre débutants dans les dôjôs). Le « gros » de leur
pratique courante.
GO NO SEN: réaction
de Tori au dernier moment. En laissant venir. On retardera l'envie
d'intervenir. C'est une prise de risque avec courtes esquives. (travail
difficile car il ne faudra pas pour autant se laisser bloquer ou toucher).
« SEN » désigne
une notion de temps. Pour information, SENSEI (professeur)
veut dire « celui qui est né avant ».
Il
ne faut pas confondre avec GO
NO GEIKO: Travail
en résistance (rare sur nos tatamis, juste afin de connaître
la puissance, trouver l'économie d' NRJ, ressentir toute la portée des
techniques, mieux gérer sa stabilité).
Par
opposition, JU
NO GEIKO sera alors un travail en
souplesse.
Avant
tout, afin de construire une attaque cohérente et déterminée, Uke doit
maîtriser son KI KEN
TAI NO UCHI (coordination de l'énergie,
de la frappe, du corps dans le même temps).
Autant
dans le camps Uke que Tori, les bras sont en UDE KATANA (bras
ayant la courbure d'un sabre, ni tendus ni pliés). Les deux pratiquants
veilleront à toujours être en KEN
SEN (alignés comme deux sabres
pointe à pointe).
Vient
ensuite la manière idéale de conduire, de coller au déséquilibre d' UKE. On
parle alors de de KI-MUSUBI (conduire
le déséquilibre en fusionnant).
Même
si la grande majorité des techniques agissent sur les bras, les poignets d'
Uke, ce n'est pas ce qui doit intéresser TORI. Il faut rechercher un échange KOKORO
NO KOKORO (de coeur à cœur, d'âme à âme). Les bras ne sont qu'un
trait d'union.
Durant
la pratique, le KI
KAÏ TANDEN ( "
l'océan du Ki" ou centre de gravité) est toujours placé dans le HARA (ventre
physique et spirituel). Véritable tour de contrôle, siège des mouvements
réflexes. De là que tout part, tout se décide, tout se gère. Ce centre de
gravité, ce point immatériel, on le situe idéalement à 3 centimètres au dessous
du nombril. Mais c'est seulement lorsque le corps est à l'arrêt et bien
équilibré (telle l'image de l'Homme de Vitruve de
Léonard de Vinci).
Car
tout mouvement ou geste tendent à le déplacer. Il peut même être en dehors du
corps selon certaines positions ou postures. Tori s'évertuera sans cesse à le
garder centré et axé dans son HARA.
On
peut, dès lors, aller vers encore plus de fluidité ( KI
NO NAGARE ou énergie qui s'écoule librement).
Il
faudra alors régler son KOKYU
RYOKU ou "autorité
naturelle" (la force qui émane du ventre lorsqu'on est très bien entraîné
«équilibre souffle /énergie /mouvement »)
Durant
l'échange, TORI aura le choix de passer d'une technique à l'autre de façon
cohérente et naturelle (HENKA WAZA).
Durant
l'échange le regard doit être placé bien horizontal, avec une vision
périphérique sur l'ensemble du Dôjô. Sans regarder ses bras ni l'arme qui
l'attaque. On parle de ME
TSUKE.
Au
final, en fin de projection ou lors d'un contrôle au sol, ZANSHIN devra
être observé (temps de vigilance en fin de
techniques,concentration persistante), c'est la notion de maîtrise de l'espace
autours de soi, c'est aussi le 3e temps de frappe en ken-suburi, le tout dans
une posture parfaite (SHISEI).
Pour
conclure, On n'a pas spécialement besoin de connaître tout ces termes pour
atteindre un bon niveau en Aïkido.
Les
pratiquants «sur-doués » trouveront instinctivement
ces étapes de progression soit par modélisations et observations de leur senseï
après des heures de pratique, soit tout simplement, de façon innée.
Toutefois,
le fait de verbaliser ces différentes sensations et principes, permettra à la
grande majorité des pratiquants d'en prendre conscience dans un premier temps,
puis de les affiner afin de s'améliorer d'autre part.
Patrick Belvaux